KITS PEDAGOGIQUES JO – COURRIER D’UNE DIRECTRICE DE L’AIN

Bonjour,
Enseignante et directrice en zone rurale, je me questionne et m’inquiète autour des livrets reçus cette semaine pour nos élèves du CP au CM2.

Un livret entamé par 3 messages politiques sous forme de lettres signées par M. Macron, M Attal et Mme Oudéa Castera. Le contenu du livret n’est absolument pas adapté aux plus jeunes élèves, à peine lecteurs… Beaucoup de textes, du vocabulaire très compliqué, et un contenu peu en lien avec les apprentissages que l’institution nous demande en permanence d’adapter aux élèves les plus en difficultés.

A la fin du livret, une pièce de 2 euros, dont je cherche encore le sens, l’utilité, et le lien avec notre mission d’instruction, d’éducation Morale et Civique, d’ouverture au monde, de pédagogie et d’éducation pour nos élèves.

J’ai beau tourner cette démarche dans tous les sens, je n’y vois qu’une propagande commerciale et politique, à la veille d’élections Européennes.
L’argent sert à acheter.
Acheter quoi ?
Qui ?
Un électorat ?
Un peuple que l’on espère présent en masse à Paris pour un évènement devenu plus “vitrine mondiale” que sportif ?

Nous devons nous questionner : pourquoi choisir le canal de l’école pour distribuer de l’argent aux enfants ?

Il s’agit là d’un cadeau “souvenir” d’un événement auquel la plupart de nos élèves ne participeront pas.
Quelles sont les valeurs sportives véhiculées par une pièce de monnaie ?

Nos règlements intérieurs interdisent de laisser les élèves disposer d’objets précieux ou d’argent dans les cartables.
La distribution de ces pièces engendrera forcément des problématiques de vols, de pertes, …
Cela nous oblige à laisser de côté nos valeurs, nos organisations et respects des lois propres à nos fonctionnements.
Quelle crédibilité donner à un enseignant qui donne de l’argent à ses élèves, de la part du Président, dans le cadre scolaire ?
Quid des classes de Grandes Sections / CP ? Les élèves de CP auront droit à leur “petit cadeau”, sous les yeux des élèves de GS qui eux n’en n’auront pas ?

A l’heure où l’école publique souffre cruellement d’un manque de moyens humains, financiers, de réflexions pédagogiques profondes sur les empêchements aux apprentissages (classes surchargées ; enseignants non remplacés ; société surexposée aux écrans ; école inclusive qui ne dispose pas de moyens nécessaires ; manque de moyens pour ouvrir les élèves aux activités artistiques et culturelles
des territoires …), on nous annonce que de l’argent, il y en a ! 16 millions d’euros !
Comble du mépris, on va utiliser cet argent pour “payer” les élèves.

Nous avons reçu dans nos boîtes professionnelles un mail nous indiquant de garder ces pièces en toute sécurité, et d’attendre que l’annonce par les dirigeants politiques soit médiatisée avant de les distribuer …

Partout sur le terrain, de nombreux enseignants se questionnent, et ne peuvent se soumettre à obéir aux ordres de l’exécutif, comme de bons petits soldats. Cette manoeuvre politique va à l’encontre des valeurs d’une école publique, laïque et gratuite qui ne doit pas devenir le relais d’idéologies politiques.

Alors que faire ? Renvoyer les pièces dans les inspections ? Proposer aux parents d’en faire don pour une caisse commune de l’école, avec laquelle on pourra ensuite acheter du matériel sportif pour les élèves ?
Dans de nombreuses écoles sur le terrain, on s’interroge et on cherche des solutions pour redonner un minimum de sens pédagogique à cette opération de communication, et ne pas se retrouver dans un paradoxe qui placerait une nouvelle fois les enseignants dans une grande souffrance, par conflit de loyauté.

Une réflexion collective et citoyenne avec tous les membres de la communauté éducative (parents, enseignants, élèves, municipalités, DDEN …) doit se mettre en action très rapidement afin de ne pas laisser s’installer ce nouveau mode de communication politicienne, à travers la manipulation des jeunes générations, sous fond de destruction massive de l’école publique, encore et toujours.

Vous avez votre part à jouer, c’est certain.

Merci de relayer du mieux que vous le pouvez cette réflexion, ce questionnement sur un nouveau moyen de propagande qui entre peu à peu dans notre système politique, et dont je suis étonnée de voir qu’on en parle si peu dans les médias.